David Pecaut
Il est des livres très prometteurs dont la captivante lecture est stimulante mais desquels on retire peu de choses une fois la dernière page tournée. Ce fut le cas avec le Cygne Noir, un des best-sellers de Nassim Taleb, qui offre une réflexion sur le hasard et les évènements improbables. L’ouvrage est passionnant, mais hormis quelques anecdotes amusantes, je n’en ai rien retenu. D’autres en revanche parce qu’ils sont simples et martèlent des idées fortes, ne laissent pas de marquer le lecteur pour longtemps. University of Berkshire Hathaway est l’un de ceux-là.
Entre 1987 et 2017, David Pecaut a publié chaque année un minutieux résumé des célèbres assemblées générales de Berkshire Hathaway, le holding magistralement dirigé par Warren Buffet et Charlie Munger. Le livre que je vous présente ici est la compilation de ses articles, riches transcriptions des dissertations de ces deux super investisseurs. Grâce à ce recueil, le lecteur entre directement dans l’esprit de ces deux allocateurs de capitaux hors pair et parvient, au fil des pages, à comprendre en profondeur leur manière de penser et d’investir. Ce livre, ode à la simplicité et à la sagesse, est à lire absolument, quel que soit son univers d’investissement
Comme je l’indique quelques lignes plus haut, il y a beaucoup à retenir de ce livre. Au fil de ma lecture, j’ai noté des dizaines et des dizaines d’anecdotes, d’explications, de messages, etc. Je vous en propose une sélection, triées par thème. Mais c’est loin d’être exhaustif…
Comprendre le business
La notion de risque chez Buffett est différente de celle de la théorie financière.
« Le risque c’est de ne pas savoir ce que vous faites ».
« Si vous comprenez les fondamentaux et connaissez les gens, alors vous ne prenez pas beaucoup de risques ».
Sa règle fondamentale est donc de parfaitement comprendre les sociétés dont il est actionnaire.
« Restez éloignés des sociétés que vous ne comprenez pas bien. Vous devez être capable d’avoir une idée assez fiable de ce que sera la société dans 5 ou 10 ans, puis attendre patiemment un prix fou ».
« Une des règles qui me permettent de savoir si je comprends un business, c’est d’être capable d’avoir une assez bonne idée de ce qu’il sera dans dix ans. C’est pourquoi Berkshire a rarement investi dans les technologies » (1997).
« Si vous ne pouvez pas estimer ce que va gagner l’entreprise, alors n’investissez pas dans l’entreprise « (1992).
Buffett explique brièvement que chaque business possède un ou deux facteurs clefs et qu’il est important que l’investisseur les connaisse. Il donne l’exemple des minières avec leurs coûts de prospection (et non de production). Il conseille donc de ne pas se focaliser sur les bénéfices publiés, mais sur la croissance de la valeur intrinsèque. Et notamment, il explique que les notions clefs d’un business ne sont pas toujours directement visibles dans un rapport annuel.
« L’important n’est pas ce que les chiffrent sont qui compte, mais ce qu’ils signifient ».
Anticiper les bénéfices à long terme
Buffett n’est pas du tout en phase avec ceux qui cherchent à prédire les mouvements du marché. En revanche, il doit pouvoir s’assurer que les sociétés dans lesquelles il a investi gagneront beaucoup d’argent sur le long terme. Il utilise pour cela la notion de « moat » introduite par Munger :
« La société idéale possède une large et profonde douve autour d’un château-fort protégé par un seigneur honnête. La douve représente une barrière à la compétition qui peut être des coûts de production parmi les plus bas, une forte marque, ou un avantage concurrentiel induit par un effet d’échelle ou une technologie » (Munger).
Il donne en conséquence beaucoup d’importance aux sociétés qui possèdent déjà ce genre de moat.
« Nous achetons des barrières à l’entrée, nous ne les construisons pas » (Munger).
« Il est extrêmement difficile de percer dans le secteur alimentaire, et c’est précisément pour cette raison qu’une marque établie a tant de valeur » (Buffett, 1989).
« Il est important de comprendre la différence entre un business où il faut être intelligent et un business où il faut rester intelligent » (Buffett).
Une des barrières à l’entrée qu’il considère est la culture d’entreprise, en expliquant qu’elle vient de la hiérarchie :
« Le dirigeant doit être consistant, savoir bien communiquer et récompenser les bons comportements et punir les mauvais. Comme cela prend du temps, c’est toujours plus facile d’acquérir un business avec cette culture que de la créer ».
Un des principes fondamentaux de Buffett est de choisir « des personnes talentueuses pour faire ce qu’elles savent faire de mieux ». Et pour définir ce choix, il a comme toujours la bonne formule :
« Les meilleurs batteurs sont ceux qui ont les meilleures moyennes de bâton ».
L’intégrité est une des principales qualités qu’il recherche chez les managers.
« Quand des méthodes comptables deviennent tortueuses, évitez la société » (1995).
A contrario, les investissements en actifs peu rentables n’ont pas sa faveur :
« Le problème d’acheter des actifs pas chers est que l’unique manière de gagner de l’argent est d’attendre qu’il se passe quelque chose. Et à moins que ne soyez vous-même le liquidateur, vous pouvez attendre longtemps qu’il se passe quelque chose » (Buffett, 1990).
Sur le business en général
En 2009 Buffett rappelle que « l’inflation permet aux Etats de diminuer leur dette extérieure. Il faut donc s’attendre à de l’inflation dans l’avenir. En termes de business, la meilleure protection contre l’inflation est votre l’earning power. Si vous augmentez constamment votre earning power, vous pouvez être certain de conserver votre part du gâteau économique ».
« Les pires business dans un contexte inflationniste sont ceux qui nécessitent beaucoup de capital pour rester compétitifs, et qui offrent une faible rentabilité » (Buffett, 2004).
« Un business ne peut pas être un bon business si vous devez effectuer une prière avant d’augmenter vos tarifs d’un penny » (Buffett, 2005).
En 1999, Buffett voyait déjà qu’internet allait avoir un considérable impact sur le secteur de la distribution. Et qu’en conséquence, l’immobilier commercial allait en pâtir. Pour les vendeurs sur internet, il n’y a pas de loyer à payer. L’immobilier du commerce sur internet est gratuit.
Encore sur l’inflation, Buffett explique qu’un business avec des tonnes de créances et de stock, est un business qui pâtira de l’inflation.
Buffett offre un point de vue intéressant sur les sociétés en déclin. Il défend qu’il est bien plus rentable d’investir dans des sociétés de croissance, même si les sociétés en déclin peuvent générer beaucoup de trésorerie. Il cite notamment le destin de Berkshire, dont l’activité originelle de textile a aujourd’hui disparu.
Munger indique qu’un des avantages d’investir dans des entreprises cycliques est qu’elles sont mal aimées en raison de l’imprévisibilité de leurs bénéfices. Chez Berkshire, ils considèrent que ce n’est pas un problème si les bénéfices sont calculés sur un cycle complet.
Sur le risque et les erreurs
Il résume sa position en 2008 en expliquant qu’il aurait pu utiliser davantage de levier avec Berkshire, mais pour en faire quoi ? Pourquoi exposer la société à la faillite pour un point de pourcentage supplémentaire ? Buffett accepte donc volontiers des rémunérations plus faibles pour être en mesure de bien dormir, quoi qu’il arrive.
Buffett et Munger soulignent, dans le cadre de l’assurance, où il y a beaucoup d’argent à placer, que les gestionnaires sont tentés de faire beaucoup de choses folles. Malheureusement, il suffit de quelques grosses erreurs pour complètement anéantir plusieurs années d’accumulation de richesses.
Buffett avertit que quand un problème surgit, il n’est jamais seul : tout est corrélé. C’est pourquoi, dans l’anticipation de catastrophes, il faut également anticiper les effets collatéraux.
En 2007, Buffett revient sur deux des thèmes qui lui sont chers. Il rappelle à plusieurs reprises que même des personnes extrêmement intelligentes ont perdu de l’argent dans l’investissement. Le problème est que n’importe quelle somme multipliée par zéro donne zéro. Autrement dit, peu importe l’excellence des performances passées, il suffit d’une année à zéro pour tout perdre. Buffett et Munger ont vu des investisseurs se ruiner ou presque avec 99% de leurs décisions bonnes, mais la 100-ème les a tués.
Buffett rappelle que l’avidité – même chez les personnes intelligentes – conduit à commettre des erreurs fatales, notamment à cause de l’utilisation de l’effet de levier ou des produits dérivés.
« On ne fait pas faillite avec des appartements à Ohama ou avec des franchises Mc Donald’s ».
« Les crises financières se produisent plus fréquemment que les crises naturelles. Elles ne doivent pas être la cause de votre ruine ; il faut au contraire s’y préparer et en tirer un avantage. Berkshire est positionné pour cela ».
Buffett clame que ses meilleures idées n’ont pas rapporté plus que celles des autres, mais qu’il a perdu moins avec ses pires idées.
Buffett et Munger reconnaissent que leurs plus grandes erreurs ont été les omissions et non les commissions.
Wall Street et les marchés financiers
Le paradoxe de St-Petersbourg. Alors que la tendance des analystes est d’établir des projections de croissance de l’ordre de 15%, Buffett observe que le magazine Fortune 500 a publié une étude sur les 50 dernières années prouvant que très peu de sociétés parviennent à croître à plus de 10% par an sur la période.
« Les marchés spéculatifs sont comme Cendrillon au bal. A minuit, ils redeviendront des citrouilles et des souris. Pourtant chaque joueur désire encore une coupe de champagne, une autre danse, et c’est ainsi qu’il laisse filer l’heure. Mais à Wall Street il n’y a pas d’horloge sur les murs ».
Munger explique que la crise financière de 2008 s’est formée par un manque d’intégrité des managers. Ce qui l’amène à considérer le « tout le monde le fait » comme un vaste problème d’éthique rendant Wall Street comme un système immoral et irresponsable.
« Les désastres financiers ont lieu car les décisions stupides prises dans les entreprises ne sont pas immédiatement sanctionnées » (1991).
Berkshire Hathaway : un exemple d’allocation de capital parfaite
Bien qu’il soit plus souvent question de ses investissements, Buffett parle occasionnellement de Berkshire en tant que holding et de son avenir. Il décrit dans quelle mesure il a construit une machine à cash unique avec une structure totalement décentralisée et une culture forte de l’excellence et de l’honnêteté qui perdurera longtemps après sa mort.
En 2013 il explique que Berkshire reçoit souvent des appels que nul autre ne reçoit car le holding possède le capital et ses dirigeants la volonté d’agir immédiatement. Il conclue en disant que « son avantage compétitif est qu’ils n’ont aucun concurrent ».
En revanche, Buffett avoue qu’il n’y a aucune chance que Berkshire puisse à nouveau composer à des taux proches de ceux de l’époque où elle gérait un petit capital. Cependant Munger se dit confiant quant à la surperformance de Berkshire au regard de l’industrie américaine en moyenne et conclue en indiquant que des objectifs minorés constituent la meilleure défense pour l’investisseur.
L’allocation de capital au sein de Berkshire est une notion clef.
« Les sociétés qui ont un faible coût en capital et qui génèrent une forte trésorerie ont ma préférence, car je peux réinvestir moi-même cet argent » (Buffett).
Sur la macro-économie et le timing
Buffett déclare qu’avec Munger, la question de la macro-économie n’a jamais été abordée lors de discussions autour d’une acquisition. Il rajoute avec force en 2015 que Munger et lui-même n’ont jamais renoncé à une acquisition pour des raisons macro-économiques. Il cite en particulier les cas de See’s Candy et BNSF, qui ont été acquises pendant des périodes difficiles sur le plan économique.
« Si c’est un bon business à un bon prix, nous l’achetons. Nous savons que par la suite l’actualité finira toujours par fournir de mauvaises nouvelles ».
« Ce que l’on apprend de l’histoire, c’est que les gens n’apprennent rien de l’histoire. Ils continuent d’essayer de prédire le futur. C’est ainsi que nous sommes notre propre ennemi. Il est important de se souvenir qu’à n’importe quel moment de notre histoire, il y a toujours eu des facteurs négatifs. Pourtant, malgré les guerres, les dépressions, les épidémies, etc. le Dow Jones est passé de 66 points à 10.000 durant le XXè siècle » (Munger).
Buffett et Munger insistent sur le fait que même si l’intelligence est une qualité utile, en investissement il est plus important d’avoir le bon tempérament. C’est la discipline qui compte.
« La plupart des investisseurs seraient de meilleurs investisseurs sans les cotations quotidiennes ».
« Si vous avez peur vous-même, alors vous ne gagnerez pas beaucoup d’argent avec les actions ».
« Achetez une belle société et gardez-la pour une longue, longue période ».
Conseils aux investisseurs
Buffett et Munger insistent sur l’importance d’acquérir les bons réflexes financiers tôt dans sa vie. Buffett affirme notamment que les chapitres 8 (Mr Le Marché) et 20 (Marge de Sécurité) de L’investisseur Intelligent contient tout ce qu’il est nécessaire de savoir pour investir. Cela ne l’empêche pas de distiller, avec son compère, énormément de conseils, dont voici quelques extraits.
Munger insiste sur la curiosité et l’importance de comprendre pourquoi les choses se passent comme elles se passent.
« Ceux qui ne se posent pas la question sont destinés à échouer, même en ayant un gros QI ».
Buffett et Munger assènent sans relâche l’importance de l’apprentissage. Buffett raconte notamment qu’il dévore les livres depuis son plus jeune âge. Il passe la majorité de ses journées à lire des livres, des rapports annuels ou des journaux. Il ajoute qu’il est nécessaire de passer beaucoup de temps à étudier les sociétés afin de se construire son propre système de compréhension.
« Regardez ceux que les autres investisseurs avisés font » (Munger).
« L’étude régulière des échecs des autres m’a beaucoup aidé. Il faut lire les histoires des folies financières » (Buffett).
« Pour être en mesure d’évaluer une société il est important de comprendre le langage comptable, de rester dans son cercle de compétence et de se concentrer sur ce qui est sensé et durable. Les marchés sont là pour vous servir, pas pour vous commander » (Buffett).
Il déconseille en revanche les IPO arguant que les vendeurs choisissent leur moment pour vendre. Il n’y a donc pas lieu de gaspiller cinq secondes sur ce genre de dossier.
« Si vous voulez devenir un évaluateur d’entreprises, dirigez quelque
temps une société médiocre. Vous verrez combien cela peut être compliqué et
qu’avoir un gros QI n’aide pas ».
« Beaucoup de gens essaient d’être brillants. Nous essayons juste d’être rationnels. C’est un énorme avantage. Essayer d’être brillant est dangereux ».
« Il faut pêcher là où il y a du poisson. La Chine regorge de poissons alors qu’aux USA il y a trop de chalutiers ».
« Dépensez moins que ce que vous gagnez. Déterminez et restez dans votre cercle de compétence. Les seuls business qui comptent sont ceux dans lesquelles vous investissez. N’arrêtez pas d’apprendre, toute votre vie. Ne perdez jamais. Ne renoncez jamais à la marge de sécurité ».
Voilà pour les extraits ! J’espère que cela vous a mis l’eau à la bouche. Pour ma part, la lecture de ce livre m’a permis de me concentrer sur l’essentiel en me rappelant les fondamentaux. La rédaction de cet article m’a également permis de me remettre en mémoire toute cette sagesse et ces principes élémentaires mais si puissants.
Enfin, ce livre a l’avantage de pouvoir se lire par morceaux choisis, petit bout par petit bout, dans n’importe quel sens, ce qui lui donne la faculté de pouvoir être lu et relu et relu… Bonne lecture !
Bonsoir Boris,
Merci pour ton article !
Dans la même veine je suis en train de lire « les écrits de Warren Buffett » qui n’est autre qu’une compilation d’extraits des lettres annuelles aux investisseurs de BRK, extraits classés et arrangés par thème pour en faire un livre structuré.
Excellente lecture en français.
Bonjour Etienne, pour avoir lu quelques-unes de ces lettres, j’imagine que ta lecture est très enrichissante. Un livre que je ne devrai pas tarder à lire…
Un des meilleurs livres que j’ai lu sur Buffett est The Warren Buffett Way. Dans une première partie exceptionnelle, Hagstrom y décortique avec minutie plusieurs cas d’investissement de Buffett. C’est très concret très formateur. La deuxième partie est plus standard, mais à lire quand-même.
Merci pour ton commentaire et bonne lecture.
Bonjour Boris,
Merci pour cet article qui donne envie de lire le livre.
Dommage que les deux compères n’écrivent pas le leur .
C’est impressionnant comme la logique et la rationalité sont des qualités rares.
La dernière lettre de Berkshire est instructive.
Bonjour Piksou, vous avez parfaitement saisi la force de ses « compères ».
Buffett et Munger ne cessent de donner d’user de pédagogie pour exprimer des idées simples et rationnelles. On finit le livre avec une autre vision de l’investissement.
J’ai également apprécié la dernière lettre de Buffett.
Sans faire de publicité, j’ai eu la bonne surprise de découvrir que le livre était en Kindle à 89 cents (contre une dizaine d’euros en temps normal). A ce prix là il n’y a plus trop à hésiter (pour ceux qui n’ont pas la liseuse, l’appli Kindle est gratuite sur téléphone ou tablette)