novembre 10, 2019

Investir à long terme

Fiche de lecture de l’ouvrage de Francisco Garcia Paramès.

Francisco García Paramés est un des meilleurs gérants de fonds espagnols, avec une performance annuelle supérieure à 16% sur 25 ans. Ses résultats et sa popularité sont si importants qu’à son départ en 2014, le montant sous sa gestion a chuté de 30%. Il gère depuis 2017 son propre fonds, Cobas Asset Management.

Première partie : l’histoire

Durant ces trois ans hors de la gestion de fonds il a écrit son premier livre, dont j’ai le plaisir de vous proposer un résumé de la traduction (aux éditions Valor, dont la qualité des traductions s’améliorent d’année en année) et qui compte 350 pages que l’auteur a regroupées en deux grandes parties.

Au tout début, l’auteur explique qu’avec les best-sellers de Peter Lynch, il lui semblait inutile de publier un quelconque ouvrage sur l’investissement. Mais, au fil de ses lectures, il trouve des compléments intéressants, qu’il partage finalement avec nous.

Il explique par exemple que les investisseurs dans la valeur ignorent volontairement la macro-économie. Sans pour autant prendre le contre-pied de cette attitude, il explique que des connaissances économiques permettent de mieux comprendre les crises, et sans pouvoir les anticiper (quoique), au moins s’y préparer. Par exemple, par une analyse grossière du marché immobilier en Espagne, il avait flairé la crise que le pays a connu. Plus généralement, il explique que le fait que le coût de l’argent (autrement dit les taux d’intérêt) ne soit pas déterminé par le marché mais par de « soi-disant » experts disposant d’une information limitée est un problème, qui a conduit notamment à la crise mondiale de 2008.

Puis il enchaîne sur une autobiographie entrecoupée d’expériences personnelles et professionnelles. Il publie notamment le contenu de son portefeuille à différentes périodes données. Pas forcément très intéressant quand il s’agit de valeurs espagnoles inconnues en France… Il explique notamment dans cette partie comment lui et son équipe ont vécu la crise de 2008 et qu’a posteriori elle lui a fait prendre conscience que les sociétés de meilleure qualité qui proposent des titres à prix raisonnable montrent un meilleur comportement à long terme que les titres des sociétés simplement bon marché.

Cette partie (un gros tiers du livre) est donc un (long) préambule à son approche de l’investissement. C’est assez proche de Peter Lynch, mais en nettement bien mois raconté, voire même ennuyant parfois. On peut néanmoins retenir quelques préceptes comme : « la clé pour ne pas renouveler ses erreurs est de les admettre ».

Deuxième partie : les clés pour réussir

Cette partie théorique commence avec la présentation de l’Ecole autrichienne d’économie. Moi qui suis un peu au fait des théories libérales (Bastiat, notamment), les noms de Hayek et Von Mises ne me sont pas étrangers. Pourtant, sans qu’elle soit technique, je n’ai pas compris cette partie. Je la trouve mal expliquée, et n’en ai rien retenu. Heureusement, ce chapitre n’est pas très long.

Investir dans les actions à long terme – A environ la moitié du livre, l’auteur aborde enfin l’investissement. En premier lieu il compare les différentes grandes stratégies possibles de placement : obligations, actions, fonds. Au final, on peut retenir que :

  • Les placements qui ne sont pas des actifs (typiquement les obligations) exposent leurs détenteurs au risque de la dépréciation de la devise dans lesquels ils sont libellés (notamment par le biais de l’inflation).
  • Paramès prône donc les investissements en actifs (immobilier ou action) en faisant le constat que les fonds sont rarement performants : seuls 30% des fonds aux USA battent le marché, et seulement 7% des gérants actifs battent le marché aux USA et au Royaume-Uni. Il note au passage que les fonds passifs (les ETF, qui répliquent des indices représentent près de 40% du marché mondial) souffrent par définition de biais intrinsèques : plus le cours d’un titre monte, plus sa pondération dans l’indice sera importante, et plus l’ETF devra en posséder : mécaniquement, l’ETF doit détenir des titres « chers ».

Il conclut cette présentation que c’est à long terme, et dans les actions, que le plus gros des économies doit être investi. Partant de cette conclusion, il plonge enfin dans la partie la plus intéressante du livre : sa méthode de sélection d’actions.

Acheter des actions à faibles multiples de prix – Pour commencer cette partie, il cite les travaux de James O’shauhnessy et de Jeremy Siegel qui montrent que les valeurs qui cotent avec des multiples de prix faibles se comportent mieux que la moyenne et celles qui cotent avec des multiples élevés font moins bien, en tendant dans les deux cas vers la moyenne. Par exemple, la Value Factor Three, qui est une stratégie quantitative axée sur des multiples de faibles, a rendu 17,39% par an sur 46 ans.

La qualité, la qualité, la qualité – Il rappelle à ce titre l’approche de Graham caractérisée initialement par l’achat de décotes sur actifs, approche qu’il a lui-même épousée à ses débuts. Il constate cependant que le temps n’est pas favorable à ces valeurs dans la mesure où, en général les retours sur capitaux sont faibles et l’éventuelle revalorisation lente et peu sûre. Il rappelle alors que les stratégies quantitatives de Joel Greenblatt et Mark Spitznagel, qui prennent en compte la qualité (mesurée par la rentabilité des capitaux investis) permet d’avoir de meilleurs résultats. Il suggère donc à ceux qui souhaitent investir dans les actions sans pouvoir prendre le temps d’analyser des entreprises de travailler avec ce genre de formules. Pour les autres, il finit le chapitre par un très long paragraphe sur Warren Buffetf en insistant sur l’importance des bénéfices. Il le cite notamment :

« En tant qu’investisseurs, pourtant, ma réaction devant un secteur émergent est le même que face à l’exploration spatiale : j’applaudis l’effort, mais préfère ne pas être du voyage ».

Warren Buffett

C’est bien son expérience, combinée à une longue étude approfondie de modèles (ou « gourous ») qui l’ont progressivement convaincu que cette approche qualitative était la plus sûre et la plus lucrative. Dès lors Paramaès avoue avoir basculé du côté « qualitatif » en appliquant les critères de Greenblatt (ROCE élevé). Il a ainsi renouvelé progressivement son portefeuille, grâce à un long travail au cours duquel il lui a fallu lutter contre ses biais, ce qui l’a contraint à revendre des sociétés bon marché auxquelles il était relativement attaché. Seule la conviction de suivre la bonne voie lui a permis de tenir jusqu’au bout.

Le plus important : les barrières à l’entrée – Il précise quand-même que la formule n’a été pour lui qu’un point de départ, et que sa nouvelle stratégie nécessite de comprendre l’origine de cette qualité et surtout, sa constance. C’est ainsi qu’il nous amène à l’étude de la société dans son marché, et sa position concurrentielle en se basant sur les ouvrages de Michael Porter, et notamment Bruce Greenwald, qu’il cite ainsi :

« L’un des facteurs est nettement plus important que les autres. Il prédomine tellement que les décideurs qui recherchent des stratégies gagnantes peuvent dans un premier temps ignorer les autres facteurs pour se focaliser sur celui-ci. Ce facteur, ce sont les barrières à l’entrée, autrement appelés les « entrants potentiels » de Porter ».

Francisco Garcia Paramès

Quantitativement, Paramès traduit ce facteur par un ROCE élevé (10-15%) et des parts de marché stables. Voici des exemples de barrières qu’il affectionne : disposer d’un avantage de coûts, des coûts de sortie pour les clients, des biens immatériels (comme une marque, des brevets ou des licences) ou l’existence d’un « effet réseau » (Facebook ou Visa).

A contrario, il précise que les sociétés dites « de croissance » ou des sociétés dans un secteur en croissance ont rarement cette rentabilité recherchée, et risquent même de poser des problèmes car d’une part la croissance est consommatrice de capitaux (ce qui, mécaniquement, fait baisser le ROCE) et d’autre part elle fait baisser les coûts fixes, et, partant, abaisse la barrière à l’entrée.

De même, un bon produit, même s’il est novateur, n’est pas suffisant, car il finira par être copié. Et un bon dirigeant n’est pas un avantage concurrentiel non plus.

Où rechercher la valeur – Il donne ensuite quelques pistes complémentaires intéressantes :

  • Les sociétés à l’actionnariat familial (25% des sociétés cotées en Europe) ont surperformé le marché de 4,5% entre 2006 et 2015 (étude du Crédit Suisse). Il donne deux explications plausibles : d’une part la vision à plus long terme des actionnaires dirigeants et d’autre part le bilan conservateur avec une grosse trésorerie (d’abord la survie et ensuite les bénéfices).
  • Les conglomérats, qui présentent généralement des décotes au regard de leurs participations, sauf à certains moments où la valeur d’une filiale (ou participation) cachée est révélée : investir dans la société-mère est en général une manière d’avoir accès à bijoux à prix réduit.
  • Les petites sociétés, moins suivies par la communauté d’investisseurs.
  • Les sociétés cycliques : la psychologie joue ici à plein, puisqu’il faut parvenir à attendre la fin du cycle (qui arrive toujours, ce que les investisseurs oublient trop souvent). La condition est de s’assurer que la société soit efficace dans sa production en sachant encaisser la faiblesse des prix, et que son endettement soit contenu.
  • Les « Spin-Offs » : depuis 2002 et durant 13 ans, l’indice Bloomberg US Spin-Off s’est revalorisé de 557% face aux 137% du S&P 500.

Eviter les sociétés à problèmes – Il donne également quelques types de sociétés dans lesquelles il n’investit pas : les sociétés de croissance, les sociétés qui passent leur temps à en racheter d’autres, les entreprises encore jeunes, les entreprises à la comptabilité opaque, les sociétés ayant des employés-clés (notamment les sociétés de service, qui ont un retour sur capital élevé du fait que le capital n’y est pas nécessaire, car ce sont les employés qui captent la rentabilité), les sociétés fortement endettées, les sociétés opérant dans des secteurs en stagnation ou accusant des baisses de vente (car à long terme, le temps jouera en notre défaveur) et bien sûr, les actions chères (il se limite à payer quinze fois les bénéfices).

Analyser les bilans des sociétés – Cette dernière notion (cherté d’une action) doit se mesurer à partir d’un bénéfice normalisé, ce qui nécessite d’une part de connaître dans le détail l’activité de la société et sa position sur son marché, et d’autre part d’éplucher les comptes de l’entreprise (ce qui au passage permet également de valider la transparence des sociétés, détecter une situation plus compliquée que ce qui apparaît au premier abord, et peut-être dénicher de la valeur cachée).

L’action parfaite – Il résume l’action parfaite comme étant l’action d’une société de taille moyenne répondant à une structure de holding familiale, qui cote sur un marché inadapté et possède une composante cyclique et/ou des placements à long terme.

Une gestion de portefeuille dynamique – Il conclue ce gros chapitre sur l’investissement par la gestion du portefeuille, en recommandant une gestion active par arbitrage des sociétés ou des secteurs qui offrent le moins de potentiel vers celles qui en offrent le plus. Il explique également que l’inattendu arrivera et qu’il faut s’y préparer avec un portefeuille prêt à supporter n’importe quelle situation. La sélection rigoureuse des titres est un moyen d’y parvenir, et la diversification (entre 10 et 30 valeurs) avec une faible pondération pour les sociétés endettées, en est un autre.

Notre pire ennemi : nous-mêmes – Acheter des titres de sociétés à prix bas revient généralement à acheter des titres dont personne ne veut. Ce sont bien ceux-là qu’il faut acheter, et les revendre quand tout le monde tente d’en acheter. Et cela suppose de lutter contre notre nature. Paramès aborde la psychologie dans le dernier chapitre de son livre, en précisant que nos émotions sont le principal obstacle à l’obtention de bons résultats avec nos investissements (avec notamment l’instinct grégaire, dont il se prémunit par une systématisation des investissements pour éviter l’effet « timing »).

La substantifique moëlle – En toute fin du livre, Paramès livre 26 idées mineures et une idée majeure qui résument les points essentiels de son livre. J’en réplique quelques-unes, vous laissant le plaisir de découvrir les autres vous-même :

  • Consacrez du temps à analyser la position concurrentielle de la société dans laquelle vous souhaitez investir.
  • Si acheter la société entière ne vous intéresse pas, mieux vaut ne pas souscrire la moindre action.
  • Les sociétés fortes d’une longue histoire ont plus de possibilités de survie que les anciennes.
  • Réussir ce n’est pas seulement deviner ce que va faire une société, c’est surtout faire la distinction entre ce que le marché pense qu’il va arriver et ce qui arrivera réellement.

Mon point de vue – Même si la première partie du livre a peu de chances d’intéresser un investisseur particulier (et plus particulièrement un investisseur français), la stratégie d’investissement, qui occupe la majorité de sa deuxième partie, est un bon complément aux best-sellers de Peter Lynch, notamment par l’exhaustivité des détails du processus d’investissement d’un des meilleurs gérants du monde actuels. De plus, de nombreuses références permettent au lecteur d’approfondir les notions qui l’intéressent particulièrement. A lire, donc.

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