Avec un chiffre d’affaires de près de 11 mds€ cumulés dans 73 pays, Atos est une des plus grosses ESN françaises (à titre de comparaison, Cap Gemini génère 18 Mds€). Son histoire est celle d’une succession ininterrompue de croissances externes. Elle naît officiellement de la fusion en 1997 des sociétés Axime et Sligos (Sligos est déjà une fusion de Sliga, qui porte les germes de Worldline, avec Cegos). La suite n’est qu’une série d’acquisitions stratégiques destinées à proposer à ses clients l’ensemble des services nécessaires à leur transformation numérique. Elle se défait toutefois en juin 2014 de sa filiale de paiements, le leader européen Wordline (devenue après le rachat d’Ingenico une concurrente directe de Hipay) pour plus de 2Mds€, soit plus d’un quart de la capitalisation totale d’Atos (près de 8 Mds€ à l’époque). Le parcours de cette tentaculaire société fut exceptionnel jusqu’en 2017, année qui marqua le déclin de ce géant.
En 2017, Atos entre au CAC 40 et voit son cours de bourse tutoyer les 100 €, symbole d’un parcours exceptionnel. Mais sous le capot, la réalité est moins exceptionnelle. A l’heure du cloud, le poids dans le groupe de l’infogérance physique, secteur dont l’âge d’or se termine, commence à devenir un sérieux handicap. Et malgré le rachat pour 3,4 Mds€ de l’américain Syntel, le pôle cloud d’Atos est encore trop petit pour prendre le relais de l’infogérance physique. La croissance s’estompe, les profits diminuent. Thierry Breton quitte le groupe. Il est remplacé par Elie Girard, au profil financier. Avec la covid-19, la tendance au cloud s’accélère et l’écart d’Atos avec ses concurrents se creuse : alors que les bénéfices d’Atos fondent, ceux de ses concurrents explosent.
En avril 2021, le groupe annonce des erreurs comptables dans deux de ses filiales américaines. En plein scandale Wirecard, le cours se met à plonger et passe de 66 € à 51 €. Puis en juillet, un avertissement sur résultats est lancé, faisant passer le cours à 39 €. Et aujourd’hui, avec la défiance sur le secteur technologique, les investisseurs jettent l’éponge et poussent le cours à son niveau d’il y a dix ans. A 32 €, le cours a été divisé par trois en moins de cinq ans !
Et le marché semble accorder peu de confiance à son nouveau dirigeant, Rodolphe Belmer. Celui-ci a d’ailleurs dû annoncer en janvier des cash-flows négatifs au T4. Le tableau semble bien sombre pour Atos.
Atos ne vaudrait-il plus rien ?
Atos paye très cher son retard dans le cloud. Mais il n’est peut-être pas trop tard. Et la société possède de gros atouts. Par exemple, des savoir-faire uniques dans la cybersécurité, le quantique ou encore la décarbonation. Le groupe est le numéro 1 européen du cloud, de la cybersécurité et des supercalculateurs. Il signe des contrats prestigieux avec l’armée et les universités. Il se trouve dans le top 15 mondial des supercalculateurs. D’ailleurs, le 2 février, Thalès manifestait son intérêt pour le pôle BGS (Big Data et Security) pour environ 2,5 Mds€.
Valorisation par somme des parties
Bien qu’un scénario à la découpe me semble improbable, il est intéressant de valoriser le groupe en tant que somme des parties. Pour cet exercice difficile, je me base sur un chiffre d’affaires de 11 Mds€. Et par simplicité (je fais la plupart de mes calculs de tête), j’utilise des chiffres ronds. Voici ma proposition de valorisation de chacun des trois pôles du groupe :
- Le pôle « Business & Platform Solutions » : il s’agit grosso modo de l’activité traditionnelle des ESN. Avec plus de 40% du chiffre d’affaires du groupe, c’est le plus gros pôle. En règle générale, une ESN correctement gérée se paye près d’un an de chiffre d’affaires. Sur la base de 11 Mds€ de chiffre d’affaires, ce pôle devait être valorisé 4,5 Mds€. Comme cette activité ne semble pas excellement gérée, je lui applique une décote de 30% et valorise le pôle 3 Mds€.
- Le pôle « Infrastructure et Data Management » est le métier historique du groupe, en partie vieillissant et en recul. J’ai beaucoup de mal à cerner son périmètre. Je vais par prudence considérer qu’elle vaut le niveau de ses fonds propres. Comme elle compte pour 40% du chiffre d’affaires du groupe, j’émets l’hypothèse qu’elle vaut 40% des fonds propres du groupe. Les fonds propres s’élevant à près de 7 Mds€, j’évalue donc ce pôle à près de 3 Mds€.
- Le pôle « Big Data & Cybersecurity » représente environ 15% de l’activité d’Atos. Issu du rachat de Bull en 2017, en forte croissance (140 M€ de CA en 2017 vs environ 1,6 Mds€ en 2021), ce pôle est la perle du groupe. Dans un secteur très porteur, au carrefour de la sécurité et des données, ce pôle vaut largement une fois son chiffre d’affaires. En me référant à ce que Thalès a déclaré la semaine dernière (un prix médian de 2,7Mds€), je peux comptabiliser ce pôle pour au moins 2,5 Mds€.
Je comptabilise également la branche « Décarbonation », qui n’apparaît pas dans la décomposition officielle du groupe, mais qui compte quand-même pour 4% du groupe. Je pense qu’elle peut être valorisée bien plus qu’une fois son chiffre d’affaires (près de 500 M€). Mais par prudence, je vais compter juste 500 M€.
Petite cerise sur le gâteau, Atos détient encore 3,8% du capital de Worldline, adossés à l’émission en 2019 de 500 M€ d’obligations convertibles. Aux cours actuels de Worldline, cette participation est supérieure à 500 M€.
En cumulé, j’obtiens une valorisation de 9,5 Mds€. Comme la société possède 1,2 Mds€ de dette, mais que j’en ai déjà comptabilisé une partie dans le calcul des fonds propres du pôle Infrastructure, la valorisation nette est d’environ 8,5 Mds€.
Valorisation par les bénéfices
Sans faire de grandes prévisions, les chiffres des années passées indiquent un bénéfice moyen par action compris entre 5 € et 6 €, alors que les prévisionnels de 2021 et 2022 sont aux alentours de 3 €. On peut espérer (voir les arguments ci-dessous) que le nouveau dirigeant, qui a déjà passé un maximum de mauvaises nouvelles sur le T4, pourrait ramener les marges à leur niveau antérieur. A chiffre d’affaires constant, le P/E serait dans ce cas de 6 (contre 10 environ actuellement, en raison de marges très faibles).
Le marché est-il trop pessimiste ?
Au regard d’une capitalisation de 3,5 Mds€ au jour de la publication de cet article, la décote semble très sévère. D’autant plus que le flux de mauvaises nouvelles peut toucher à sa fin. Par exemple, il s’avère que les erreurs comptables qui ont effrayé le marché début 2021 n’ont eu aucune incidence matérielle, et que les comptes des deux filiales américaines concernées ont par la suite été certifiés sans réserve.
Accélération dans le cloud
Quand l’ancien patron Elie Girard, déclarant que « le Numérique, le Cloud, la Sécurité Numérique et la Décarbonation devraient représenter 65% du chiffre d’affaires du groupe à moyen terme par rapport à 40% aujourd’hui », il laisse croire à une accélération dans les métiers porteurs, qui permettra de tirer à la fois les marges et la croissance du groupe. D’autant plus que celle-ci sera exécutée en parallèle de la vente de la moitié du pôle Infrastructure (notamment dans les télécommunications et les activités d’hébergement), le moins rentable du groupe (et en déclin). Pour parler autrement, 20% du chiffre d’affaires qui ne rapportent rien (ou quasiment) pourraient se transformer en 10% de chiffres d’affaires qui croît à 15%. Et le nettoyage a déjà bien commencé, j’en veux pour preuve le plan de départ de plus de mille personnes de la filiale allemande spécialisée dans l’hébergement.
En parallèle de tout cela, Atos continue d’investir dans les supercalculateurs, domaine où il excelle, avec l’annonce toute fraîche du doublement de ses capacités de production.
Conclusion
Un changement de stratégie trop tardif doublé d’un concours de mauvaises nouvelles, ont fait fuir les investisseurs. Les profils financiers et non techniques mis à la place de cette société assez proche de l’Etat n’ont pas réussi à ramener la confiance. Certes, on est loin de l’entreprise familiale gérée au cordeau qui déroule une stratégie de long terme. Mais d’un point de vue comptable, la société vaut le double de ce que le marché en offre. Et plusieurs signaux laissent espérer un renversement de dynamique, avec une amélioration des marges et le retour progressif de la croissance. Il y a à mon avis un coup à jouer à moyen terme. Le point noir de ce dossier est le profil du dirigeant, qui n’a d’après moi pas le bagage technique requis pour une telle société, et qui n’a pas d’ailleurs pas brillé dans son récent poste chez Eutelsat. Néanmoins, quelques bonnes nouvelles pourraient impulser un rebond au titre qui perd les deux tiers de sa valeur en cinq ans. J’ai initié une petite position aux alentours de 35 € pour viser 85 €.
Article précis comme toujours
merci
d
Merci belen, c’est gentiL.
encore un bel article, on ne s'en lasse pas , merci
Merci Eric pour vos encouragements.
Boris,
Suite à la dépréciation de 2.4 milliards d'euros, devez vous revoir
votre valorisation par somme des parties?
merci
d
Bonjour Didier,
je vous remercie pour votre question, c’est un point intéressant.
J’ai utilisé les fonds propres pour valoriser le pôle Infrastructure et Management, qui représente 40% du chiffre d’affaires du groupe. En supposant que ce pôle est bénéficiaire, j’ai considéré qu’il devait valoir au moins ses fonds propres, soit plus de 3 Mds€ (calculés au prorata du chiffre d’affaires). Je pense que j’ai vraiment minoré cette valeur et qu’en vérité ce pôle vaut bien plus.
Mais pour être cohérent, je devrais en effet déduire la quote-part relative à la dépréciation annoncée, qui doit être de l’ordre du milliard d’euros.
La valorisation tomberait alors à 7,5 Mds€, ce qui donnerait un cours à 70 € environ. On a encore une belle marge de sécurité. D’autant plus que j’ai vraiment été prudent dans mes estimations.
Le momentum actuel n'est pas propice à un ticket de loto comme la recovery d'Atos à mon avis. A partir de maintenant, je tremble à chaque fois que le nouveau DG publie un communiqué; ses 2 derniers communiquées ont été très mal perçu par le marché…
Bonjour Jubean,
pas moi, je ne tremble pas.
J’ai été très surpris par la réaction du marché suite à l’annonce des résultats car il n’y avait rien de nouveau.
Même si Atos n’est pas une société qualitative, elle a signé des contrats stratégiques avec l’Etat et des grandes entreprises, qui prouvent un vrai savoir-faire dans des domaines pointus comme la cybersécurité et les super calculateurs. Le travail du nouveau dirigeant va être de concentrer son groupe sur ces savoir-faire. Il faudra être patient, cela ne va pas se faire du jour au lendemain.
En attendant, il passe les comptes à la paille de fer et charge la barque de ses prédécesseurs. C’est le coup classique qui lui permettra de mieux valoriser son propre bilan.
Le marché est toujours excessif et peut prendre son temps avant de changer d’avis sur une société.
Au cours actuel, je ne suis vraiment pas inquiet, la marge de sécurité est très importante.
La difficulté est aussi de trouver le point bas pour acheter.
La curée a été forte sur Atos…
d
Bonsoir Didier,
oui, mon timing a été exécrable. Il faudra être patient.
Boris à un commentaire sur la dernière info de ce jour sur ATOS
Valo au plancher par rapport à cette proposition de rachat sur
une partie seulement de l'activité.
merci d
Bonjour Didier,
déjà, la stratégie initiée par Belmer avant son départ m’a laissé quelque peu coi. J’avais dans l’idée que Atos allait conserver 100% des actifs stratégiques (regroupés sous la future société Evidian) et vendre les parties infogérance (déficitaires). En cédant 30% d’Evidian sur le marché, Atos vendrait une partie des bijoux de famille pour financer la partie déficitaire. C’est exactement l’opposé de ce que j’espérais…
La proposition de OnePoint porte sur le rachat de l’intégralité d’Evidian, pour un montant de 4,2 Mds€. Dans l’article, mon estimation d’Evidian étant d’environ 5,5 Mds€ (3 Mds€ pour le digital et 2,5 Mds€ pour BDS), le deal ne me semble donc pas a priori intéressant, d’autant plus qu’il ne serait pas payé intégralement en cash.
En supposant que le deal se fasse avec 2 Mds€ d’apport en cash, cela laisserait Atos avec une trésorerie nette de 0,8 Mds€ mais une activité déficiatire qui nécessite a priori 1,1 Mds€ de frais de restructuration. Donc in fine un besoin de financement de 0,3 Mds€. Pas terrible dans les conditions actuelles de crédit. Néanmoins, Atos possèderait toujours ses titres Worldline (je ne crois pas qu’ils aient été vendus) et son activité Décarbonation. Auxquels il faudrait ajouter les titres OnePoint, le tout pouvant représenter au total 3 Mds€. A comparer à une capitalisation d’à peine 1 Md€.
Ma conclusion est qu’il est difficile de se prononcer car les termes de l’offre ne sont pas définis. Le point positif est le groupe sera simplifié et jouira d’une position financière améliorée. Mais cela se fera au détriment de la vente des bijoux de famille, et de la conservation d’un pôle en déclin et déficitaire dont le redressement est très incertain, avec des dirigeants qui n’ont pas vraiment réussi jusque-là à montrer leurs compétences dans ce domaine.
Dans tous les cas de figure, cette proposotion va peut-être bousculer d’autres prétendants et une surenchère n’est pas improbable. Attendons déjà la deuxième mouture de l’offre de OnePoint.
Bonjour Boris,
j'ai une question peut être un peu bête et un raisonnement un peu simpliste. Mais au cours actuel (25.69€) la valorisation d'ATOS est de 2.8Mds€
en février Thales valorisait le pôle BGS (Big Data et Security) pour environ 2,5 Mds€.
avec les évènements actuels la sécurité informatique risque d'être de plus en plus recherché.
en conclusion si on achète Atos aujourd'hui on l'achète à peu près au prix de son pole BGS qui représente que 15% de l'activité d'Atos
donc les risques sont minimes
merci encore pour ces études très instructives
Eric
Bonsoir Eric,
votre raisonnement est simple mais juste et je pense tout comme vous.
Il est rarement nécessaire de faire des choses compliquées pour investir en bourse. Il faut juste laisser au temps faire son oeuvre.
merci pour votre réponse
Avec un an de recul, pas vraiment le conseil du siècle.
Avoir raison trop tôt, c’est ici un tort.
En effet. Mais en bourse, le temps est le principal facteur que l’on ne maîtrise pas.
Veuillez toutefois noter que sur ce blog je ne fais qu’écrire ce que je fais et qu’en aucun cas je ne conseille quoi que ce soit. Cet article n’y fait pas exception.
Bonjour Boris,
Avez-vous fait le travail de chercher à comprendre pourquoi vous vous êtes lourdemment trompé sur ce dossier ?
Je me suis également trompé et en partant de plus haut et je cherche à faire cet exercice, pour ne pas reproduire ce genre d’erreur dans le futur, je suis donc intéressé par votre analyse.
Mon sentiment est que nous avons sous estimé le niveau d’ incompétence voir de malhonneté du CA.
Croyez vous encore que l’AG puisse refuser le plan proposer par le CA ? Qui conduirait les minoritaires à financer intégralement la restructuration d’atos et entrainerait une dillution massive ?
Bonjour Florent,
merci pour votre message. Vous avez raison : je me suis lourdement trompé, et vous avez parfaitement identifié mon erreur.
Mon approche de somme des parties, que j’ai appliquée avec un certain succès dans d’autres sociétés, se basait sur l’hypothèse que les dirigeants allaient chercher à redresser la société, dans l’intérêt de ses actionnaires. Manifestement, leurs intérêts se portaient ailleurs.
Le premier plan, celui proposé par Belmer, aurait dû me mettre la puce à l’oreille : pourquoi le groupe aurait besoin de dépenser plus d’un milliard d’euros pour se restructurer, alors qu’a priori ses actifs – même non rentables – pouvaient, pendant cette période faste pour l’informatique, être vendus facilement à des concurrents ?
Probablement que les actifs (autres que Big Data & Cybersécurité) sont de qualité médiocre, et donc invendables. Probablement que les forces au pouvoir du groupe n’y ont pas intérêt. Probablement que l’Etat a joué un rôle dans ces décisions calamiteuses. Tout cela est si opaque et si surprenant que toute explication est plausible.
Mon erreur a été double :
1. Ne pas m’être intéressé plus profondément à la gouvernance du groupe, notamment de savoir qui en tire les ficelles et où sont les intérêts.
2. Ne pas avoir cherché davantage à estimer la qualité des services d’Atos.
C’est le problème de ces grands groupes, qu’il faut beaucoup de temps pour analyser. Parfois, la valorisation des actifs ne reste que théorique, et la marge de sécurité, aussi importante soit-elle, peut disparaître en un claquement de doigts quand la gouvernance n’a pas les mêmes intérêts que les actionnaires minoritaires. Cela est encore plus vrai quand ces actifs sont de qualité bien inférieure à celle que l’on imagine.
Atos est désormais un ticket de loto. En conséquence j’ai soldé ma ligne en début de semaine, à grosse perte.