avril 25, 2023

Interview de Youssef, cofondateur de MasterBourse – Partie I

J’ai eu le grand plaisir de m’entretenir longuement avec Youssef, cofondateur de MasterBourse. Pendant pas moins de trois heures, cet investisseur pédagogue a raconté son histoire et comment il a bâti sa stratégie de long terme. Le texte issu de cet entretien étant très long, j’ai préféré le couper en trois articles, et de surcroît, en proposer une version en podcast. J’espère que vous prendrez autant de plaisir à le lire (ou l’écouter) que j’en ai pris à l’interviewer.

Vous pouvez écouter les extraits directement à partir d’ici :

Boris
Youssef, tu es connu sur Twitter parce que tu y es assez actif. Si je ne me trompe pas, tu as à peu près bientôt 13.000 abonnés. Sur Master Bourse, tu as rédigé 27 fiches et en plus tu publies une newsletter. Tu peux te présenter en quelques mots ?

Youssef
Je m’appelle Youssef Harrabi, je suis né en Tunisie (à Tunis). Je suis venu en France en 2009 pour étudier à Lyon, dans la finance. Puis je suis allé vivre en Chine (à Shanghai précisément), puis en Corée du Sud pour le compte de Samsung, chez qui j’ai fait en parallèle un MBA. Et ensuite Sony m’a contacté pour me proposer le même poste qu’à Séoul, mais à Paris.
Ce qui est intéressant dans les métiers que j’ai faits chez Sony et chez Samsung, c’est le développement produit (concrètement, c’est la direction marketing). Je devais gérer plusieurs catégories de produits. Par exemple, en début d’année, le Japon me demandait de faire tant de chiffre d’affaires, et tant de marge sur toute l’Europe. Comment, quand, à quel prix, et avec qui ? C’était à moi de décider. J’étais comme un chef d’entreprise, pouvant fixer librement mes prix, choisir mes clients et communiquer là-dessus. C’était intéressant parce que j’avais une double casquette de stratège et de financier. J’ai adoré ce métier et j’y ai pris beaucoup de plaisir parce que c’était assez transversal et que ça rejoignait la bourse sur plein de points. Et puis en 2019, la passion pour la bourse a été plus forte : j’ai sauté le pas. J’ai quitté Sony et j’ai lancé Master Bourse.

Boris
Ah oui, donc en fait, tu t’es jeté dans le vide, tu as quitté le monde du salariat pour te mettre à temps plein sur Master Bourse, sans intention particulière de le monétiser, juste par passion, c’est ça ?

Youssef
Oui. Mais aussi parce que – désolé, je n’aime pas trop ce terme – je voyais que je gagnais à côté autant que lorsque je travaillais chez Sony. J’étais déjà autonome financièrement.

Boris
Tu avais déjà réussi à accumuler un patrimoine qui te permettait d’être autonome financièrement et tu as estimé que c’était le bon moment pour toi de te consacrer entièrement à ta passion, dans le cadre d’un projet qui aurait toutes les chances d’évoluer ?

Youssef
Oui, c’était un choix et j’étais prêt à aller vivre dans une autre région en France ou dans un autre pays, pour baisser le coût de la vie pour pouvoir me consacrer à ce projet. Car je pense qu’à un moment ou un autre quand on commence sur ça, on lit sur ça, on s’intéresse sérieusement à ça, se pose tôt ou tard la question de savoir si ça vaut le coup de garder son boulot à côté. Donc c’est une question qui revenait souvent et j’y pensais depuis ma première année chez Sony en fait.
C’était très riche culturellement ce que je faisais. Je travaillais dans le même open space avec des Japonais expatriés, des Italiens, etc. donc c’était aussi vraiment sympa. Mais malgré ça, il y avait quand-même cette passion de la bourse. Je me disais qu’à un moment dans ma vie, j’aimerais me réveiller et avoir la liberté de choisir l’entreprise à analyser et comment l’analyser.

Boris
Mais comment fais-tu concrètement pour vivre de la bourse ?

Youssef
EN fait, je vis essentiellement de l’immobilier. J’ai commencé à investir dans l’immobilier dès que je suis revenu en France, en 2012, car j’étais devenu finançable grâce à mon CDI. J’ai fait deux opérations de d’achat revente et j’ai fait aussi des investissements intéressants, même aujourd’hui. Après ces années, je réalise qu’enfin il y a un free cash flow (ce qui est très difficile à Paris) qui permet de financer ma vie. Mais il m’arrive aussi de piocher un peu dans mon compte-titres pour des loisirs ou des voyages, mais ça dépasse, rarement 1% de mon portefeuille par an.

Un milieu familial favorable

Boris
Tu disais que tu étais né en Tunisie. Es-tu es issu d’un milieu favorisé ? Ou y avait-il une culture financière dans ta famille ?

Youssef
Je suis issu d’une famille aisée et fais partie de la bourgeoisie tunisienne. Mais ce qui est important à savoir, c’est que peu importe ma richesse tunisienne, elle ne vaut rien en France. Parce que la monnaie n’est pas convertible : il n’est pas possible de convertir des dinars en euros librement. Donc mes parents ne peuvent pas me donner d’argent par exemple.

Boris
Attends, je ne comprends pas, ils ne peuvent pas te donner d’argent ?

Youssef
Non. Mais ce n’est pas propre à la Tunisie. Par exemple en Chine, c’est la même chose. La monnaie n’est pas convertible pour les Tunisiens. Mais les Tunisiens ont tout de même le droit d’avoir ce qu’on appelle une allocation touristique, qui se monte à seulement 1.000 ou 1.500 € par an. C’est tout. Donc théoriquement, même un Tunisien qui a sur son compte en banque en Tunisie l’équivalent d’un million d’euros, ne peut pas sortir légalement du pays avec plus de 1.500 €. Donc oui, je suis né dans un milieu favorisé, mais ce milieu, qui intellectuellement me sert aujourd’hui beaucoup, ne me sert à rien financièrement.

Boris
C’est intriguant ça. Mais est-ce que par exemple un Tunisien pourrait acheter un immeuble, un appartement ou une maison en France ?

Youssef
Non, ce n’est pas possible. Il peut l’acheter en Tunisie. Mais il ne peut pas ramener un centime au-delà de ces 1.500 € par an. Il ne peut pas sortir de l’argent de Tunisie et le ramener ici même s’il possède beaucoup d’argent. Si j’ai un héritage en Tunisie, cet argent restera tunisien. Le risque légal est très important. Tu risques la prison.

Boris
D’accord, mais donc ça, c’est une volonté du gouvernement tunisien ?

Youssef
Oui, et ça a toujours été comme ça. Tous les cinq ou six ans, ils rajoutent quelques centaines d’euros, mais c’est tout. En revanche – et c’est là que ça change énormément de choses pour moi – si on part étudier à l’étranger, on a le droit de sortir un peu plus d’argent de Tunisie. Prenons par exemple un Tunisien qui va à Harvard, avec des frais annuels de 100.000 $. Ce Tunisien peut se rendre à la Banque centrale tunisienne, montrer son inscription et sortir 100.000 $. Et il a même le droit de le sortir sur son compte personnel aux États-Unis. Et en plus, comme il doit vivre aussi dans ce pays étranger, il a le droit à 1.500 ou 2.000 € supplémentaires par mois.
Donc pour ses études, on peut sortir de l’argent. Les importateurs – les entreprises qui importent – peuvent sortir de l’argent. Mais tu vois, ça passe par la Banque centrale tunisienne et sous certaines conditions. Mais sinon en temps normal, non.

Boris
Ah c’est incroyable ça ! Donc effectivement tu es issu d’un milieu assez favorable, on va dire. On peut dire que tu as baigné dans une culture financière qui t’a donné les clés pour réussir ?

Youssef
Oui, mon père était directeur des études de la Banque centrale tunisienne justement. Et donc il peut parler du Chili et de son économie pendant des heures. C’est un vrai passionné d’économie en général mais il n’a jamais investi en bourse et aujourd’hui je sais qu’il est très loin de ce que je fais au quotidien. En revanche, on peut tenir une discussion intéressante d’un point de vue économique.
Et ma mère est expert-comptable. Elle craint la bourse. En revanche elle a réussi à atteindre son indépendance financière avec l’immobilier. Elle s’est construit un patrimoine immobilier intéressant qui lui a permis aussi d’arrêter de travailler vers ses 42 ou 43 ans. Elle a utilisé efficacement l’effet de levier et la dette dès ses 22 ans et a bien profité de la forte inflation : elle s’endettait à 10% par an avec une inflation à 15% ! Certes, c’était dans les années 70. Ma mère a 75 ans aujourd’hui, donc je te parle d’une époque où ce genre de montage était encore faisable. Mais peu importe, j’ai compris qu’il était possible de prendre son indépendance financière. Et j’avais même le playbook par ma mère.

Le rêve d’entreprendre

Boris
Tu as pu commencer avec un petit bagage culturel hérité de tes parents. En tout cas une culture financière.

Youssef
Oui. Pour te dire comment justement je suis tombé dans le bain à 16 ans, j’étais à la bibliothèque de la Banque centrale en Tunisie, j’allais voir mon père au travail – j’adore flâner entre les livres – et je suis tombé sur le magazine Capital. Forcément, ils font de la promotion des entrepreneurs qui ont lancé leur start-up et qui ont réussi. Ils ne montrent que des succès. Et je me suis dit « c’est génial ça, ce qu’ils font ». J’ai pris le magazine et suis allé voir mon père : « C’est quoi le métier de ce monsieur en fait ? Parce que je veux faire la même chose. » Il me répond « Lui, il est entrepreneur. » « Bah, je veux être entrepreneur tout de suite ! » Vraiment, ça a été le coup de foudre du métier. Je voulais faire ça. Et depuis je me suis passionné par ça, ne lâchant plus les magazines du type Capital ou Entreprendre, et tout ce que je pouvais trouver dans le genre. J’étais fasciné.
A un moment, je me rappelle comme aujourd’hui une histoire qui m’a vraiment marqué : celle d’un jeune qui a lancé un site internet d’impression de t-shirts. Le client choisissait un dessin et pour une vingtaine d’euros, il recevait le t-shirt imprimé chez lui. Capital en parlait parce que ce jeune a vendu sa boîte deux millions d’euros. Et moi, je trouvais ça génial ! J’ai vite commencé à me demander « où est-ce que on peut acheter des machines pour imprimer des t-shirts ? » Parce que je voulais imprimer des t-shirts pour gagner deux millions d’euros !
Ce n’est qu’il y a quelques années que j’ai réalisé que cette histoire s’était déroulée en 2000, en pleine bulle Internet. C’était époque pendant laquelle les start-ups pouvaient être créées en quelques mois et vendues à des millions d’euros. Donc finalement, c’est peut-être la bulle internet qui m’a influencé. C’est comme ça que j’ai commencé.
Pour la bourse, j’ai petit à petit réalisé que j’adore parler des entreprises, j’adore analyser des business comme je l’ai fait avec ce magazine capital. Pourquoi ils vont réussir et pas les concurrents ? Que font-ils de différent ? Donc, avec le temps, j’ai réalisé que l’entrepreneuriat c’est bien, mais c’est une seule partie d’échecs, et qu’elle se joue sur des décennies et au quotidien. On y gère les problèmes opérationnels qui sont beaucoup moins intéressants intellectuellement parlant. Ce qui m’intéressait, c’était justement la partie d’échecs. Et c’est comme ça que je suis arrivé à la bourse. Parce que la bourse justement, c’est la possibilité d’analyser deux cents parties d’échecs qui se jouent en ce moment, c’est enfin pouvoir retrouver ce plaisir intellectuel. Et pouvoir aussi changer de partie d’échecs librement. On n’est pas cantonné à un projet, c’est pour ça que je suis passé de la passion de l’entrepreneuriat à la bourse.

Boris
Est-ce que je me trompe en disant que ce qui t’a intéressé dans la partie entrepreneuriat c’est plutôt la partie stratégie ? Et c’est ce qui t’a poussé à t’intéresser à la bourse parce que la stratégie y prend une grande place ?

Youssef
Exactement. Au début, l’entrepreneuriat, c’était « Waou ! Ils arrivent à changer le statu quo, faire bouger les lignes, ces gens-là. Je les admire, je veux faire la même chose qu’eux. Je veux, moi aussi, changer des choses. » Et petit à petit, j’ai réalisé que c’est de l’entrepreneuriat. Ça réduit cette analyse intellectuelle. En revanche, la bourse, c’est un terrain immense, voire infini.

Des débuts timides

Boris
Et du coup, ta première action, ça a été quand et quoi ?

Youssef
Ma première action, je l’ai achetée en 2006, il y a donc près de vingt ans. C’était Alitalia. A l’époque, l’action était passée de 10 € à moins de 2 €. Moi je me suis dit « si elle revient sur juste 6 €, j’aurais gagné autant que trois mois de boulot. Donc c’est génial. » Mais entre-temps, Alitalia a fait, je pense, plusieurs fois faillite !

Un peu plus tard J’ai commencé à appliquer les cours de finances qu’on m’enseignait à l’école et j’ai acheté des actions en Tunisie. Mais tu sais, à cette époque-là il y avait cinq ou sept banques et peut-être une trentaine d’entreprises cotées.
Et fin 2008, j’ai été accepté à l’EM Lyon. Je savais que j’allais avoir des euros à ce moment-là. J’ai commencé à me dire qu’il fallait maintenant faire les choses sérieusement. Mon réflexe a été de lister les meilleurs investisseurs de tous les temps, et d’étudier ce qu’ils font. En me disant qu’en faisant la même chose qu’eux, je ne pouvais pas trop me tromper. Il se trouve que quand on fait un classement, très vite un investisseur sort du lot. J’ai donc commencé par Warren Buffet.

Tout commence par un prêt étudiant

Youssef
Et en septembre 2009, je débarque en France. Une banque me propose de financer mes études ainsi que mon train de vie à 1% sur 10 ans. Sans garantie, sans garant, rien. La Banque me dit en gros « OK, je finance absolument tout, tu ne rembourses absolument rien et quand tu seras en CDI tu rembourseras sur 10 ans à 1%. » Juste comme ça. Elle anticipe que plus tard je serai un diplômé demandé sur le marché, et ne prend pas vraiment beaucoup de risques. De plus, elle se dit que je suis un futur client qui aura plus tard besoin d’une maison, d’une voiture, etc.
A l’époque, en 2009, on pouvait faire de bonnes affaires en bourse. Je prends 80.000,00 €, et j’investis l’intégralité sur les marchés, directement, en me disant alors justement que je n’avais plus le droit à l’erreur, car comme je te l’ai expliqué, c’est tout l’argent que j’aurai dans ma vie. Je savais en effet que je n’allais plus jamais avoir d’autre argent en France et qu’il ne fallait pas que je commette d’erreur fatale avec.

Premiers investissements

Boris
Pour résumer, tu as débuté en 2006 avec des actions Alitalia, puis tu as investi modestement en Tunisie. Et c’est en arrivant en France que tu t’es ouvert au marché français, voire mondial, en investissant réellement, en suivant les principes que tu avais appris dans tes lectures les années passées.

Youssef
Oui. En 2006, j’investissais sur la base de ma formation financière apprise à l’école. Et c’est vers fin 2008 ou début 2009, dès que j’ai su que j’allais avoir des euros et de l’argent, que j’ai compris qu’il fallait que je me forme. Ce que j’ai fait avec passion. Parce que je ne pouvais pas me permettre de perdre de l’argent. Et à partir de 2009 j’étais vraiment devenu un disciple de Warren Buffett.

Boris
Il y a donc eu un processus, avec un gros travail de formation entre 2006 et 2009, pendant lequel tu as absorbé, comme tu dis, tout ce que tu as pu comme littérature.
Mais en parallèle tu as tout-de-même testé ces théories ? Tu n’es pas arrivé en France en 2009 en te disant « allez, je me lance avec 80.000 € ! » ?  Tu avais déjà un peu testé sur les valeurs françaises tes connaissances financières ?

Youssef
Oui. Même si j’ai commencé en France en investissant directement 80.000 €, j’avais acquis de l’expérience, notamment par mes pertes sur l’essentiel de ma position Alitalia, et aussi sur mes placements en Tunisie, que je considérais comme de l’entraînement en « vrai » par la limitation légale dans mes choix. Et il y a eu également le site virtuel Golden boys, site sur lequel je pouvais simuler des investissements en Europe et aux États-Unis. C’était plus de la préparation, ou de l’entraînement pur. Cela m’a permis de voir que je n’allais nulle part, surtout à partir de 2008 avec le crash des subprimes. Donc j’ai aussi perdu sur mon compte virtuel. Cette expérience m’a permis de réaliser que l’on peut perdre beaucoup en bourse du jour au lendemain. C’est quelque chose que j’ai gardé dans un coin de de ma tête.

A la recherche de la stratégie

Boris
C’est assez intéressant ce que tu dis, parce que contrairement à beaucoup d’investisseurs particuliers, qui, face à la chute des cours, se sont découragés réalisant que la bourse c’est dangereux, toi, en revanche, tu arrives en 2009, dans une période qui finalement, n’est pas si mal que ça pour commencer à investir. Tu n’as eu peur avec tout ce qui s’est passé auparavant et tu mouilles ta chemise. Est-ce que tu continues à te former par la suite ?

Youssef
Oui. Toujours. Jusqu’en 2018, je lisais et visionnais sur Youtube absolument tout ce que je pouvais trouver sur les meilleurs investisseurs. A force, je pouvais même terminer les phrases de Warren Buffet ! Puis ayant trouvé dommage de me cantonner à Buffett, j’ai essayé d’élargir au maximum. Je suis passé à la value, à faire du Graham. Rapidement pour moi le critère était devenu la valorisation. Je me rappelle qu’à mes débuts je filtrais sur des screeners, supprimais tous les P/E au-dessus de 10… Et aujourd’hui, je réalise, justement parce que j’ai continué de me former, que c’était stupide. Bon, ce n’est pas non plus la pire des stratégies. Mais on peut faire de très bonnes affaires avec un P/E à 20 et une très mauvaise avec un P/E à 2. Et si je ramène les choses dans leur contexte de 2010 à 2017-2018 c’étaient des valorisations stupides partout, que ce soit pour des valeurs cycliques, valeurs décotées de type value ou de croissance. On pouvait acheter Equasens (ex Pharmagest) à 4 fois l’EBIT ! Donc finalement, tout le monde a gagné. Moi y compris, ce qui m’a conforté dans mes choix, dans mes repères, dans mes lectures, dans les personnes que je suis.
Puis vint 2018, seule année où j’ai perdu de l’argent. Et même à ce jour, c’était la seule. Mais j’ai perdu beaucoup. Et quand on perd 35% de son portefeuille en une année, on prend une sacrée gifle. Alors on se pose et on essaie de voir ce qui n’a pas marché et de comprendre pourquoi. Et quand j’ai analysé, j’ai trouvé en fait que la recette qui a fait le succès les années avant, c’est celle qui a aussi (en partie) causé la perte. Je dis « en partie » parce qu’avant je renforçais à la baisse en me rappelant Warren Buffett qui se disait très heureux de voir une baisse à 50 $ après avoir acheté à 100 $. Oui peut être mais il y a en général une bonne raison derrière toute baisse : l y a probablement des initiés sur le marché. Donc je peux sortir une phrase de Warren Buffett et finalement voir que ça s’applique parfois mais pas toujours. Ou acheter des faibles P/E, c’est vrai, mais quand le cycle se retourne ça peut être violent et le faible P/E ne l’est plus. Ou alors acheter une valeur vraiment décotée sur son actif, avec le risque que s’il n’y a pas de rentabilité économique derrière et peu de croissance elle peut rester décotée vingt ans.
Donc tout cela m’a amené à réfléchir au-delà de la valorisation et des multiples, et à intégrer d’autres critères comme la qualité d’une entreprise ainsi que le momentum.
Pourquoi une action commence à monter toute seule ? Pourquoi une action baisse, et continue de baisser alors que la valorisation est intéressante ? On nous a dit « C’est génial, il faut acheter une action. Enfin, enfin 1€ pour 0,50€. » Oui mais pourquoi ces 0,50 € continuent d’aller à 0,20 € et 0,10 € ? On sait que le marché est excessif dans les deux sens et justement quand je parle de trader je ne parle pas forcément de chartisme mais plus de traders qui spéculent sur la psychologie de la foule. Et je pense qu’on a pas mal à apprendre d’eux à ce sujet aussi. Par exemple, j’apporte beaucoup d’importance à Louis de Fels quand il déclare « Ne sous-estimez jamais le potentiel d’une baisse d’une action ». Ainsi, même si à long terme, la bourse est vraiment une histoire de fondamentaux, je me dis qu’on peut tirer des choses intéressantes de traders (pas tout). Donc pour moi, lire par exemple Mémoires d’un spéculateur, a été plus enrichissant que de lire un énième investisseur dans la valeur.

L’importance du momentum et des initiés

Youssef
Je précise que j’ai lu ce livre car je voulais m’ouvrir l’esprit, pas pour passer au trading. Warren Buffett ou le style value qu’on fait toi et moi, ça rejoint ce côté plaisant de l’entrepreneuriat, de l’histoire, de la boîte, de la dynamique, de la partie d’échecs qui se joue. Et c’est ça qui me plaît. Mais je voulais comprendre pourquoi une action peut monter toute seule, ou baisser et continuer de baisser alors que sa valorisation est intéressante.

Boris
Intéressant. Je ne connais pas Livermore. Tu peux donner en quelques mots ce que tu as retenu de ce livre ?

Youssef
J’en ai essentiellement retenu qu’il ne faut pas moyenner à la baisse. En 2018, avoir moyenné à la baisse est ce qui m’a fait perdre de l’argent. Alors qu’au contraire, en 2022, ne pas avoir moyenné à la baisse m’a permis de gagner dans un marché en recul.
Il y a peut-être des raisons fondamentales derrière une baisse. Les initiés, les acheteurs, les fournisseurs, les clients, les concurrents, tous ces gens-là ont des indicateurs très avancés par rapport à nous. Je prends un exemple qu’on a vécu tous les deux : Piscines Desjoyaux. Cela fait plus d’un an qu’elle baisse. Quand le patron déclare anticiper une croissance de 10% sur l’année, l’action ne progresse pas. Et pareil lorsque trois mois avant la clôture, en juin dernier, il a dit « On va faire +5% ». Et finalement, il publie des résultats très moyens. C’est comme si le marché en savait alors plus que le patron. Aujourd’hui ce n’est toujours pas cher, et vu que le cours ne se stabilise pas, il est possible qu’il y ait des initiés qui présument qu’on est en haut de cycle et qu’on n’a pas encore vu le bout.,. Ça pourrait être en tout cas l’hypothèse des traders qui disent « OK l’action baisse, je vais rester loin ». Alors qu’un investisseur value doit se dire « l’action baisse, c’est une meilleure affaire ».

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